samedi 4 avril 2015

Un clip musical peut-il devenir un spot publicitaire?

Des exemples récents de collaborations entre des artistes et des marques prenant la forme de clips musicaux, me permettent de soulever une interrogation concernant le rôle de ces clips pour les artistes. Que ce soit UZ pour Mennen ou Singtank pour Bailly, le clip musical doit-il être de nature promotionnelle?




Il ne s'agit pas ici de relancer le débat sur le placement de produits dans les clips de musique, ni même d'évoquer le Brand Content musical avec des collaborations exclusivement promotionnelles comme par exemple Marion Cotillard pour Dior ou Converse et son programme 3 Artistes 1 Song (mon avis sur la campagne). Ce billet concerne plutôt les collaborations artistes/marques où le clip à vocation artistique va être utilisé dans le cadre d'une campagne de communication.

UZ pour Mennen: un concept créatif en commun

Récemment, la marque Mennen a lancé sa nouvelle campagne pour promouvoir son nouveau déodorant. Un spot vidéo a été réalisé dans lequel un danseur effectue une chorégraphie insistant sur les parties du corps, faisant écho avec la particularité de ce nouveau déodorant Intégral Corps, le tout sur une musique du DJ américain UZ. Or, au même moment, le clip du morceau Trapshit V20 a été dévoilé, notamment sur la chaîne YouTube de Mennen. Un clip, qui est concrètement une version longue du spot pour Mennen avec un 2ème danseur, même si aucun placement de produits n'est présent dans ce clip. Je ne connais pas les détails du partenariat entre le DJ et Mennen, mais le contenu de la vidéo, le timing de diffusion ainsi que l'équipe de production française sont révélateurs de l'intervention de la marque et de son agence dans le processus créatif du clip. Ce qui est bien dommage, même si cela permet au DJ de bénéficier d'un clip pour son morceau à moindre frais alors que les blogs musicaux américains n'y ont vu que du feu.




Cet exemple est assez proche de la collaboration il y a quelques années entre BNP Paribas et la chanteuse anglaise VV Brown. En effet, à l'époque, le spot publicitaire de la banque et le clip de la chanson Leave (qui illustrait le spot) étaient réalisés par la même équipe et partageaient le même concept créatif, même si les vidéos furent différentes.




Singtank pour Bally: une vidéo hybride

Autre exemple, celui du groupe français Singtank et de sa collaboration avec la marque de vêtements Bally. Une vidéo a été diffusée début mars mettant en scène les 2 membres du groupe, Joséphine de la Baume (également mannequin) et son frère Alexandre, au son de leur morceau Coming Down, néanmoins un peu occulté par le son d'une ancienne interview de Brigitte Bardot. Dans cette vidéo, les deux chanteurs sont habillés naturellement par Bally, présentant ainsi la nouvelle collection printemps/été de la marque, mais de manière plus subtile que dans la plupart des clips intégrant des placements de produits. On est ici à mi-chemin entre le court-métrage promotionnel et le clip musical. C'est assez flou. Cependant, deux semaines plus tard, la vidéo a été publiée sur la chaîne YouTube du groupe, se présentant comme le clip de leur morceau Coming Down tout simplement. On retrouve ainsi une vidéo à la base à vocation promotionnelle mais calibrée comme un clip pour pouvoir remplir également ce rôle.



Cet exemple de collaboration est similaire à celle il y a 5 ans entre la chanteuse Izia et la marque Petit Bateau avec un clip reprenant le concept de la campagne de communication de l'époque pour la marque. Un clip tout à fait officiel pour le morceau Let Me Alone, sans référence à la marque si ce n'est par son concept et qui fut publié à la fois sur la chaîne YouTube dédiée au partenariat et sur celle de la maison de disque de la chanteuse.





Ces quatre exemples illustrent l'implication grandissante des marques dans l'industrie musicale et notamment par l'intermédiaire du clip. Que ce soit, en dupliquant le concept créatif ou en produisant des vidéos hybrides, le clip représente ainsi pour la marque souhaitant communiquer à travers la musique, un outil ultime, car il permet de toucher le public de manière directe et pérenne.

Mais est-ce le rôle d'un clip musical, d'être exploité de cette façon? Est-ce le rôle des marques d'intervenir dans le processus artistique? Et l'artiste dans tout ça, ne doit-il pas être le garant de l'aspect artistique du clip?
Certes, en plus de sa dimension artistique, le clip musical a toujours eu un rôle promotionnel, mais c'est au service de l'artiste lui-même. Et lorsque les marques s'immiscent dans le processus artistique, la vocation initiale du clip est détournée et je crains que de plus en plus d'artistes ne se fassent dépossédés de cet outil qui leur est propre, au profit d'annonceurs.


OK Go, un groupe qui a tout compris

Mais il est un groupe qui sait parfaitement mettre à profit les partenariats avec les marques dans la conception de ses clips, c'est le groupe OK Go. Le groupe américain, plus connu pour ses clips que sa musique, s'est forgé une réputation mondiale grâce à la grande créativité dont ils font preuve dans leurs clips qu'ils conçoivent eux-même. C'est un groupe qui collabore beaucoup avec les marques, avec par exemple Chevrolet, Samsung ou Honda. Mais contrairement aux exemples cités plus haut, ces partenariats n'entravent pas l'aspect artistique de leurs clips. Les placements de produits présents deviennent ici des outils au développement de la créativité du groupe, gardant la mainmise dans la conception de ces clips, le chanteur en étant généralement le réalisateur. En collaborant avec ce groupe, les marques recherchent ainsi davantage leur créativité que leur notoriété ou image.



Une créativité dont la marque de vitamines Berocca du groupe Bayer s'était largement inspirée pour l'un de ses spots publicitaires il y a quelques années. Le spot reprenait le concept créatif du clip du morceau Here Its Goes Again (clip récompensé par un Grammy et un YouTube Award et qui les avait révélé). On retrouve ici le processus inverse, où c'est une marque qui utilise pour sa communication un concept créatif issu d'un clip musical imaginé par le groupe lui-même.




Et récemment, c'est le leader chinois des magasins de meubles, Red Star Macalline qui a fait appel à leur talent créatif pour concevoir un spot publicitaire. Un spot qui s'inspire du concept créatif du clip pour le morceau The Writing's On the Wall, avec comme accompagnement sonore un remix de leur morceau I Won't Let You Down. Le chanteur du groupe, Damien Kulash en est le réalisateur et on peut apercevoir dans la vidéo du making-of l'implication des membres du groupe dans la conception de ce spot. 



Bref, l'artiste n'est pas obligé de subir l'intervention des marques dans la conception de ses clips musicaux. Il peut en être un acteur majeur, rendant la collaboration entre marque et artiste d'autant plus intense et appréciée.



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